Article ordurier et abject du Canard enchaîné sur le POI, par Vincent Presumey
Tous les mercredi, il arrive que l’on savoure des articles duCanard enchaîné. Plus rarement, il arrive que l’on vomisse. C’est le cas avec le billet du n° de ce mercredi 15 juillet en page 2, titréL’antichambre de la gauche s’éclate. Le voici intégralement :
« La République s’en relèvera-t-elle ? Le Parti Ouvrier Internationaliste (POI), une petite formation trotskyste qui se désigne aussi comme « lambertiste », traverse une crise ouverte, au point que chaque directive émanant des trois principaux dirigeants de la majorité (1350 adhérents actifs, plus la trentaine de « vétérans » qui ont connu Pierre Lambert sous la collaboration) est suivie d’un contrordre signé des trois grands chefs de la minorité (650 militants).
La portée planétaire de l’évènement a échappé au commun des mortels. Pourtant, l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI), devenue PCI puis Parti des Travailleurs et enfin POI, a été, après l’ENA et avant HEC, l’une des grandes écoles de la gauche. Jospin, Cambadélis, Le Guen et Mélenchon, entre autres, ont usé leurs fonds de culottes sous la houlette de Pierre Lambert.
Les « lambertos » sont aussi passés maîtres dans l’art de conquérir des postes stratégiques grâce à une tactique d’infiltration à laquelle ils ont donné le nom de « Marianne », histoire de se fondre dans le paysage républicain. Après avoir été faiseurs des derniers rois de FO -Blondel et Mailly -, ils viennent d’accéder aux manettes de plusieurs grosses fédérations de la CGT (santé, chimie, etc.). Philippe Martinez est, après Thierry Lepaon, devenu leur bête noire.
Il va être ravi de pouvoir leur tailler un trotskar. »
Il assez difficile, en deux colonnes, d’accumuler autant de miasmes. Commençons par le pire, poursuivons par l’inévitable et par le ridicule, et terminons par ce qui constitue peut-être le pot-aux-roses : car, question transparence, les tenants et aboutissants de cet article du Canard sont d’une opacité supérieure à une déclaration de la Direction Nationale (équivalent du comité central) du CCI sur ses problèmes internes, ce qui n’est pas peu dire !
Le pire : c’est hors sujet mais c’est là, l’auteur anonyme du billet a tenu à le placer et la rédaction du Canard l’endosse, Lambert et les « vétérans » étaient dans la collaboration, c’est-à-dire, écrivons en toutes lettres ce que le Canard a fait, en 2015, passer dans ses colonnes : ont collaboré avec les nazis !
L’auteur anonyme fait allusion, sans rien expliquer, à une « lettre des vétérans », 28 vieux militants, qui dans la crise présente du CCI, demandent à la majorité de sa direction de ne pas interdire la tendance créée par sa minorité. Daniel Gluckstein et 22 autres membres de la Direction Nationale ont en effet constitué une tendance intitulée Revenir à une politique de construction du parti, sur la base d’un texte diffusé en interne fin juin, mais la majorité de la Direction a estimé qu’ayant reporté le prochain congrès à janvier 2016 et la période de discussion officielle préparatoire à ce congrès n’ayant pas été ouverte, cette tendance n’avait pas à exister. Comme elle s’est quand même organisée avec ses quelques 650 partisans ils ont ensuite « suspendu » ses fondateurs pour cette supposée indiscipline, ouvrant un processus de scission. C’est ce contre quoi disent s’élever les « vétérans », dont la démarche est donc plutôt favorable à la tendance. Leurs dates d’adhésion à l’organisation s’échelonnent de 1950 à 1968. Aucun n’a donc pu suivre Lambert dans la « collaboration » ne serait-ce que pour cela.
Mais le pire est évidemment que Lambert n’a en aucun cas « collaboré », ayant passé la guerre dans la clandestinité comme militant trotskyste (il était en outre de famille juive). Je me permets de renvoyer à mes écrits : http://www.le-militant.org/carnet/lambert2.htm et http://www.le-militant.org/carnet/lambert3.htm.
Il s’agit évidemment ici d’un message codé, celui sur les « hitléro-trotkystes » bien connu d’ailleurs de quelques permanents des forums de Mediapart. La présence de ce message codé nous permet de caractériser plus précisément l’auteur anonyme de cet article : cet auteur est ce que l’on appelle une officine (au sens non pharmaceutique du terme ! ). Dommage que le Canards’adresse à des officines plutôt qu’à des journalistes. Mais poursuivons.
Après le pire l’inévitable avec ce genre d’officines, c’est-à-dire l’ignorance. D’une part, accumulation de petites erreurs et contre-vérités : POI veut dire Parti Ouvrier Indépendant et pas « internationaliste », adjectif que s’est réservé sa principale composante, le Courant Communiste Internationaliste. Il ne se désigne pas lui-même comme « lambertiste », c’est un vieux surnom. Jean-Marie Le Guen n’en a jamais fait partie, tant pis pour lui (il connaît bien Cambadélis et ses amis depuis leurs jeunesses respectives, mais c’est une autre question). Surtout, évidemment, inévitablement, notre officine pondeuse de billets pour le Canard ne nous apprend strictement rien sur le pourquoi du comment de la division qui affecte aujourd’hui ce courant.
Nous dire que, au-delà et à travers les conflits de pouvoir et d’intérêts, les uns préconisent la formation d’un « appareil politique de la lutte » composé de responsables syndicaux, sans apparemment mettre en cause la politique des directions syndicales confédérales (en tout cas celle de FO), comme fil conducteur de la politique à suivre en France aujourd’hui, tandis que les autres (la tendance de D. Gluckstein) disent vouloir mettre en avant un parti (qui serait en l’occurrence le POI) pour aborder la « question du pouvoir » en défendant la rupture avec l’Union Européenne et la V° République, tout cela serait certes très ennuyeux du point de vue de l’officine, qui n’y comprend probablement rien elle-même, et présenterait de plus l’inconvénient de pouvoir, le cas échéant, apparaître intéressant à d’autres. Donc, n’en parlons pas !
A la place, de quoi nous parle notre officine ? Après cette énaurme stupidité sur le nom de code « Marianne » pour fantasmer sur la rubrique « entrisme », elle nous parle, en fait, de la CGT. Cela de façon à placer des contre-informations très précises. Martinez serait devenu la bête noire des « lambertos » (lesquels, puisqu’ils sont divisés ? on ne le saura pas) qui auraient, entendez-vous ça, déjà « accédé aux manettes » de deux fédérations de la CGT, la Santé et la Chimie. C’est mis entre parenthèses mais c’est la clef.
La Chimie est une fédération souvent critique depuis longtemps, sans que le POI n’y soit pour grand-chose semble-t-il (un dirigeant de la fédération FO chimie a par contre participé au rassemblement de syndicalistes organisé, non par le POI, mais par Informations Ouvrières, le 6 juin dernier). La Santé est une fédération qui a connu un congrès agité voici deux mois, lors duquel la direction, proche de Philippe Martinez, a été évincée par un véritable « soulèvement » des délégués. Or, dans cet épisode, d’après le journal les Echos, il y avait au contraire de ce qu’insinue l’officine requise par le Canard, alliance entre le POI et la même direction pro-Martinez :
Ceci peut d’ailleurs passer pour étonnant, et n’a pas manqué de nourrir, à mots plus ou moins couverts, la lutte interne au CCI, la tendance reprochant à la majorité de la direction de s’être fait de grosses illusions en soutenant Martinez.
On est, on le voit, assez loin, puisqu’on est en fait à l’exact opposé, de ce que prétend le Canard !
Mais nous touchons sans doute par là au pot-aux-roses.
L’officine (stalinoïde, à l’évidence) consultée par le Canard sur ce type de sujets, a beau tenter d’ironiser sur la toute petite « portée planétaire » de l’évènement, celui-ci a de l’importance pour elle. Il s’agit de la CGT, il s’agit plus généralement, très au-delà des POI ou pas POI, des syndicalistes qui, depuis un an, ont fait vivre la CGT sur le terrain en prenant une distance croissante envers leur direction centrale en crise, et il s’agit d’enjoindre en conclusion Martinez de « casser du trotskar », car tel est bien le message de l’officine à Martinez, qui lui désigne des cibles qui, en l’occurrence, n’ont à 99% rien de « trotskar », ni de « lamberto », mais sont syndicales et syndicalistes.
Par ailleurs, envers le CCI lui-même, un tel article ne peut que servir sa direction pour faire pression sur le mode « silence dans les rangs », « l’ennemi vous écoute » et ainsi favoriser secret et paranoïa, à l’encontre de ce dont ont vitalement besoin ces quelques 2000 à 3000 militants ouvriers souvent syndicalistes : de transparence et de publicité, pour que le fond de leur débat parvienne au grand jour et contribue au pot commun du mouvement ouvrier.
Quand au Canard, s’il se libère lui aussi des officines de ceux qui prétendent connaître les "antichambres" et lui délivrent d’aussi grossiers bobards assortis de tels secrets de polichinelles, cela lui ferait, à lui aussi, le plus grand bien.
Vincent Présumey, 15 juillet 2015.
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