Entretien avec Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière
porte-parole de Lutte ouvrière | Pour une riposte d'ensemble des travailleursSix mois après les élections présidentielles, quel bilan tire Lutte ouvrière de la candidature de sa porte-parole, Arlette Laguiller ? Quel parti reste à construire ? De même, quelle est l'appréciation de LO sur la situation politique et sociale de ce pays, en particulier au lendemain des grèves et des mobilisations du 26 novembre dernier ? La Commune, qui dès les premiers instants , a appelé à voter Laguiller et soutenu les candidats LO aux législatives a posé les questions. Entretien avec celle qui a eu le courage de ne pas appeler à voter Chirac.La Commune : Quel bilan tires-tu, plusieurs mois plus tard, de la campagne que tu as menée aux présidentielles et de la position courageuse et principielle qu'a prise Lutte Ouvrière contre le vote Chirac au second-tour ?Arlette Laguiller : Pour ma part j'en tire un bilan positif. Nous avons milité pour nos idées, jusqu'au bout, sans concession, en présentant un programme qui défende véritablement les intérêts politiques de la classe ouvrière.Le nombre de voix qui s'est porté sur ma candidature n'a pas été décevant. Bien sûr nous aurions préféré qu'il se rapproche du chiffre donné par des sondages qui, un temps, a avoisiné les 10 % des voix. Cela aurait signifié un changement politique profond dans la conscience de nombreux travailleurs. Mais bon, il reste tout de même que le nombre de voix qui s'est porté sur ma candidature est supérieur à celui de 1995. Ce qui n'est pas si mal comparé aux fortes baisses enregistrées par les représentants du parti communiste et surtout du parti socialiste.
Quant à la position que nous avons prise pour le second tour de l'élection présidentielle, elle était peut-être courageuse, mais seulement comparée à l'attitude pleutre de toute le gauche gouvernementale, voire d'une partie de l'extrême gauche. Présenter Le Pen comme pouvant l'emporter au second tour ou bien comme étant " sur les marches du pouvoir " était un non-sens ou plutôt un gros mensonge. Tous savaient que Le Pen aurait été largement battu au second tour avec les seules voix de la droite gouvernementale.
Pour ne pas avoir à discuter des raisons de leur défaite, les dirigeants de la gauche plurielle ont été jusqu'à présenter Chirac comme le sauveur, le chevalier blanc de la démocratie. C'est là une véritable trahison.
L.C. : Quelle appréciation portes-tu sur la politique du "gouvernement Chirac- Raffarin " et sur la rentrée sociale ?
A.L. : La politique du gouvernement Chirac-Raffarin est sans surprise. Ce gouvernement multiplie les mauvais coups contre les classes populaires. Il favorise de façon éhontée les catégories les plus riches. Point n'est besoin de citer la liste déjà longue des mesures prises contre les travailleurs et les plus démunis. Il y a quelques mois on nous présentait Chirac comme étant le seul barrage aux idées nuisibles de Le Pen. Eh bien on voit aujourd'hui qu'il n'y a pas eu besoin que Le Pen arrive au pouvoir pour que soient appliqués de nombreux éléments de sa politique. Avec le gouvernement Chirac-Raffarin, le patronat et la bourgeoisie avancent sans masque. C'est peut-être là la seule différence avec une partie de la gauche parlementaire, bien qu'il faille remarquer que même dans l'opposition un Fabius ou un Strauss-Khan ne changent rien au langage responsable à l'égard de la bourgeoisie qui est le leur. Pour en revenir au gouvernement Chirac-Raffarin, dont la politique est ouvertement au service de l'intérêt des plus riches, au détriment des conditions de vie et de travail des classes populaires, disons qu'il mériterait amplement de se heurter à la colère de l'ensemble du monde du travail.
L.C. : Plus de 60 000 électriciens et gaziers ont manifesté le 3 octobre à Paris contre la remise en cause de leur statut, de leur régime de retraite particulier et contre la privatisation d'EDF.GDF. Ensuite, les enseignants ont été appelés à faire une journée de grève "diversement suivie", le 17 octobre, tandis que les fédérations de cheminots ont appelé les agents SNCF à manifester le 26 novembre. Que penses-tu de cette "stratégie" syndicale qui consiste à appeler les salariés à des journées d'action, secteurs par secteurs, les uns après les autres ? Le "tous ensemble" te parait-il possible ; et comment ?
A.L. : Il faut un plan de mobilisation du monde du travail. Le gouvernement et le patronat mènent, eux, leur offensive contre l'ensemble des travailleurs. Ils ont une stratégie de classe. Ils annoncent ouvertement la direction dans laquelle ils vont agir. Ils veulent s'en prendre aux retraites de tous. Ils veulent réduire le nombre d'emploi dans le secteur public. Ils veulent continuer à peser sur les salaires et pouvoir licencier sans entrave.
Cette politique vise l'ensemble de la classe ouvrière. C'est la riposte collective des travailleurs qui peut l'arrêter.
Et justement, le rôle des organisations qui se revendiquent de la classe ouvrière devrait être de concevoir et de mettre en place un plan de mobilisation, où chaque journée de mobilisation, en préparant la suivante, renforcera la conscience et la détermination des travailleurs.
Les directions syndicales ont-elles la volonté de mettre en oeuvre un tel plan de mobilisation ? A l'évidence non. Au lieu de chercher à remobiliser le monde du travail, elles s'échinent plutôt à le disperser.
Voilà ce que j'écrivais dans l'éditorial de nos bulletins d'entreprise du 27 novembre, au lendemain de la manifestation du 26 novembre, sous le titre " pour une riposte d'ensemble des travailleurs ! " " Bien sûr, la riposte généralisée du monde du travail ne se décrète pas. Mais elle devrait se préparer au grand jour. Chaque action, chaque journée de grève ou de manifestation, devraient annoncer les suivantes. Mais aussi bien la journée de mobilisation dans le service public que l'action des routiers montrent que ce n'est pas cette préoccupation qui guide les centrales syndicales. Lorsqu'elles se divisent entre elles, ce n'est pas sur la meilleure façon de préparer les luttes futures mais en fonction des élections prud'homales qui viennent. Et lorsqu'elles sont unies, c'est sur les positions les plus inertes.
Comme bien souvent dans le passé, c'est l'action des travailleurs eux-mêmes qui devra les mettre d'accord. La journée du 26 novembre, après celle du 3 octobre, aura montré que les travailleurs répondent " présent " lorsqu'on les appelle à l'action.
Alors, malgré l'attitude timorée des centrales syndicales, malgré la dispersion, il faudra se saisir de toutes les propositions d'action à venir pour qu'elles marchent et s'élargissent. Le gouvernement se vante de sa détermination face aux travailleurs. Il faut que les travailleurs montrent une détermination supérieure pour bloquer l'offensive.
L.C. : Au cours des présidentielles puis des législatives, tu as soulevé la question d'un nouveau parti basé sur la défense des intérêts matériels et politiques de la classe ouvrière et de la population pauvre, en précisant que ce parti ne doit pas être une sorte de un "PSU fourre-tout"mais bien un parti de classe. Comment vois-tu la perspective d'un parti des travailleurs à ce jour ?
A.L. : La question d'un nouveau parti basé sur la défense des intérêts matériels et politiques de la classe ouvrière et de la population pauvre, nous la posons en permanence et pas seulement lors des élections. C'est une nécessité pour les travailleurs depuis bien longtemps. l'opportunisme social-démocrate d'abord, le stalinisme ensuite ont perverti ce qui devrait être le programme d'émancipation des travailleurs. Ils lui ont tourné le dos même, en offrant leurs services à la bourgeoisie.
Le parti qui est encore à construire - ou plutôt à reconstruire - devra se référer au communisme, car ce n'est pas le communisme qui a fait faillite mais son odieuse caricature, le stalinisme. C'est lui qui en URSS a dépossédé la classe ouvrière du pouvoir politique qu'elle avait conquis en 1917.
Quelles seront les voies par lesquelles se recréera un tel parti ? Il est bien difficile de le dire. Par contre, ce que l'on peut affirmer avec certitude, c'est que ce parti sera un parti de classe dont le programme sera celui du marxisme révolutionnaire, du léninisme, du trotskysme. Pour nous, cela signifie que tous nos militants doivent s'attacher à défendre de façon permanente et volontaire leur programme au sein de la classe ouvrière. C'est la tâche essentielle pour qui veut aujourd'hui participer à la renaissance d'un nouveau parti communiste.
L.C. : Il nous semble que Lutte ouvrière a résolu de s'engager de façon plus systématique dans le travail local, en direction des locataires en particulier et de la population pauvre des villes. C'est ce qu'indique la mobilisation que LO a impulsée dans le quartier populaire de la Paillade à Montpellier ou encore la réunion de 130 locataires dans la cité des Planètes à Maisons-Alfort ou encore le tract de LO diffusé à Créteil contre la réduction du budget des Affaires sociales de cette ville, décidée par la municipalité "gauche plurielle" tout dernièrement, en cours d'exercice budgétaire. Peux-tu nous préciser votre politique sur les problèmes qui se posent à la population travailleuse dans les villes et les cités et, en particulier, sur la question du logement ? Quel est le rôle et le travail des conseillers municipaux élus en 2001 sur les listes LO ?
A.L. : Que les militants de Lutte Ouvrière interviennent sur tous les problèmes qui touchent les travailleurs et pas seulement sur ceux liés à l'exploitation directe qu'ils subissent dans les entreprises, n'est pas une nouveauté. La classe ouvrière et les classes pauvres sont non seulement exploitées mais aussi opprimées dans tous les actes et situations de la vie sociale ; en particulier dans le logement. C'est pourquoi, dès qu'ils en ont la possibilité, nos camarades militent aussi sur ces questions. Et le fait que nous ayons maintenant quelques conseillers municipaux aide bien sûr à ces activités.
Vous citez quelques unes des interventions que nous avons eues récemment mais il y en a bien d'autres : sur la question du logement, de l'école ou des transports.
Seulement, pour un petit groupe comme le nôtre, il faut savoir que les priorités restent de nous implanter dans les entreprises, en particulier les plus grandes car là les travailleurs sont quotidiennement confrontés au patronat et cela fait une différence.
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